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BEYOND THE FACE : Histoire, Mémoire et Escalade de Compétition

Pour la plupart d’entre nous, l’escalade reste un loisir permettant le développement de capacités physiques spécifiques ainsi qu’une occasion parfaite d’évasion éphémère du quotidien. Lorsque l’on s’intéresse au développement du sport depuis son moment embryonnaire, on note une abondance d’études scientifiques sur le sport, l’entraînement ainsi que son effet sur le corps. Du côté des sciences humaines, notamment dans le domaine de l’histoire, la littérature consacrée à l’escalade apparaît plutôt mince.

Entre les récits alpins et ceux d’escalade de rocher, le grand oublié reste sans contredit le domaine de l’escalade de compétition.[1] Quoique très jeune, ce sport se développe sur un axe bien différent des autres disciplines depuis maintenant une vingtaine d’années. Avec la publication de Beyond The Face,[2] Heiko Wilhelm – entraîneur de l’équipe autrichienne – nous offre l’une des contributions les plus détaillées en rapport avec l’escalade de compétition, que ce soit au niveau historique, culturel ou psychologique.

En effet, les 312 pages de son ouvrage nous livrent les témoignages et entrevues de 39 athlètes ayant participé sur une base régulière à la coupe du monde d’escalade dans les 30 dernières années. Cela représente, en chiffre, plus de 200 victoires ainsi que 20 champions de monde à travers des entrevues de fonds. Bien que l’ouvrage ne se veuille pas historique en soi, puisqu’il n’offre aucune analyse substantielle ni reconstruction méthodique et exhaustive des événements, il fournit une source d’informations réelle et nécessaire à l’écriture d’une telle étude. Ce qu’Heiko Wilhlem s’efforce plutôt de nous offrir, c’est une immersion brute dans l’expérience compétitive à travers le temps depuis la fin des années 1980.

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Dans les dernières tendances historiographiques du champ de l’histoire culturelle, le concept de mémoire guide souvent les questions d’interprétation et de méthodologie. Même s’il est défini de différentes façons par plusieurs, un dénominateur reste constant : la mémoire est la façon dont on construit et donne un sens au passé. En ce sens, Wilhelm donne un sens et une utilité à son bouquin, au-delà du divertissement, en l’érigeant sur ce concept de mémoire:

«Once the memories of the personalities involved in a sport at a particular time begin to fade, we do still have statistics and related documentation on which to base our understanding. Whilst recorded statistics, however, might provide a great deal of information about the regime of a sport, without the personal accounts of the individual people involved, our appreciation of their thoughts and feeling can only be superficial.»[3]

De cette façon, sa contribution prend la forme d’un véhicule favorisant la formation et le partage d’une base de connaissances sur ce jeune sport en plein essor. Cette contribution importante à la construction d’une mémoire collective en regard à l’escalade de compétition rend donc un fier service à la fois aux fervents amateurs du sport ainsi qu’aux historiens et futures générations qui bénéficieront de ces témoignages détaillés.

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Ces récits individuels sont accompagnés de magnifiques images et portraits d’athlète. Durant une compétition, certains moments uniques laissent une empreinte indélébile dans l’esprit des spectateurs. Pour tous ceux qui n’ont pas la chance d’assister à une étape de la Coupe du Monde, Beyond the Face offre une alternative intéressante et captivante. Toutes méticuleusement choisies, ces photos expriment en image ce que les mots ne parviennent pas à transmettre : des moments éphémères, intenses et spontanés qui donnent vie aux entrevues.

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Des pionniers Jerry Moffatt et Lynn Hill, aux nouvelles superstars telles que Adam Ondra et Jain Kim, en passant par des figures moins connues comme Jakob Schubert et Juliane Wurm, Heiko Wilhelm nous offre la possibilité, pour la première fois, de concevoir et de comprendre l’évolution de l’escalade de compétition dans un contexte humain et cru. La description du caractère de chacun propose aussi au lecteur un aperçu des éléments nécessaires pour devenir champion du monde. On comprend alors mieux la raison pour laquelle l’escalade de compétition se développe désormais indépendamment de l’escalade de rocher. Simplement expliqué par la force de la nature norvégienne Magnus Midtbø , il semble qu’il soit « […]much harder to win a World Cup than to do something hard on rock ». Provenant d’un athlète n’ayant jamais gagné sur le circuit de la coupe du monde tout en atteignant un niveau vertigineux de 5.15b à l’extérieur, ces paroles paraissent bien fondées.

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Si l’idée de vous imprégner dans l’histoire et la culture de l’escalade de compétition vous plaît, vous pouvez vous procurer le livre Beyond the Face dans la bibliothèque du Bloc Shop. Tout au moins, on vous invite à venir le feuilleter. À mon avis, le livre en soi est une pièce de collection, autant pour sa présentation soignée que son graphisme hors de l’ordinaire. Il semble presque vivant !

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[1] Quelques exemples de la littérature existante: Heinz Zak, Rock Stars : the world’s best free climbers (Munich: Rother, 1997), Maurice Isserman et Stewart Weaver, Fallen giants : a history of Himalayan Mountaineering from the age of empire to the age of extremes (New Haven : Yale University Press, 2008). David Chambre, Le 9e degré : 150 ans d’histoire d’escalade libre (Éditions Mont-Bland: Paris, 2015)

[2] Heiko Wilhelm, Beyond the Face (Heiko Wilhelm: Innsbruck, 2015).

[3] Wilhelm, 9. Emphase ajoutée.